Internet : nouvel eldorado pour les médecins ?
Avec l’arrivée de l’internet et des nouvelles technologies, nombreux sont les médecins qui ont réalisé le potentiel énorme que ces technologies représentent pour leur activité professionnelle. Ceci s’applique non seulement à tout ce que le médecin peut trouver comme informations sur internet (conseils, lectures professionnelles, échanges avec d’autres praticiens), mais aussi à tout le champ des relations avec les patients. Ainsi, par l’intermédiaire des messageries, forums, sites spécialisés et réseaux sociaux, le médecin, grâce à internet, peut être en prise directe avec la société dans laquelle il vit et avec les patients qu’il soigne.
Avec l’entrée de l’internet dans le champ de la médecine, il est légitime de se demander si ce réseau, avec les différentes modes d’expression qu’il permet, ne risque pas de dénaturer la relation patient-médecin. Les médecins et leur Ordre professionnel se sont – à juste titre – interrogés sur les limites ou les règles applicables à la communication du médecin sur internet.
En effet, la communication des médecins est strictement encadrée en France (contrairement à ce qui se pratique dans d’autres pays comme les USA). Toute forme d’expression publique des médecins est susceptible d’être analysée, en particulier comme une forme de publicité déguisée, ou d’infraction aux règles du secret médical par exemple. D’autre part, le code de déontologie médicale n’autorise pas les médecins à écrire tout et n’importe quoi.
Dans cet article, je vais passer en revue les règles de déontologie qui s’appliquent pour le médecin sur internet, telles que les ont définies l’Ordre des Médecins et nous verrons que, contrairement à une idée encore assez répandue chez beaucoup de médecins, communiquer sur internet ne leur est pas interdit, bien au contraire.
Dans des articles à venir, j’évoquerai les différentes façons, pour un médecin, d’être présent sur internet. Ainsi, je détaillerai les principaux réseaux sociaux pour les médecins et comment y être présent de façon pertinente, ainsi que l’intérêt et les outils de création de site internet pour médecins.
Le médecin sur internet, le point de vue de l’Ordre des médecins
Il faut reconnaître à l’Ordre National des médecins français le mérite d’avoir eu la lucidité d’étudier très tôt les conséquences déontologiques de l’informatique, puis de l’internet, sur l’exercice médical. Dès 2008, l’Ordre avait publié un livre blanc sur l’informatisation de la santé (ce document n’est plus disponible sur internet). Ce livre blanc contenait les bases de la réflexion déontologique sur le dossier médical informatisé, les messageries électroniques pour professionnels, l’internet santé et la télémédecine.
Puis en 2011, un autre livre blanc consacré à la déontologie sur le web, a permis aux médecins désirant communiquer sur internet d’avoir un cadre déontologique précis et assez facilement applicable.

Les grandes lignes du livre blanc de 2011 peuvent se résumer ainsi :
Les règles de déontologie médicale s’appliquent quelque soit le vecteur d’information (donc y compris sur internet), mais le web engendre des questionnements spécifiques et permet d’évoluer vers de nouveaux usages.
Tout en invitant les médecins à investir plus largement le web, le CNOM souligne, par ces préconisations, quelles sont leurs responsabilités, professionnelles et humanistes, dès lors qu’ils participent des médias en ligne. Ces préconisations actualisent les recommandations publiées en mai 2008 . Elles s’adressent également aux organisations qui ont vocation développer et faciliter l’accès l’information en santé.
Il résulte de ce travail cinq recommandations principales, qui sont détaillées dans le livre blanc de 2011 et que nous résumerons ici :
- Mettre le web au service de la relation médecins-patients
L’Ordre reconnaît l’intérêt des nouveaux outils de communication offerts par le web pour le médecin sur internet (forums, blogs, vidéos en ligne). Cependant, il exprime le souhait que les médecins soient les pivots de l’orientation des patients dans ces sources d’information, tout en soulignant que ces moyens ne doivent pas remplacer la relation médecin-patient et son dialogue singulier.
- Contribuer à la production de l’information en santé
L’Ordre incite les médecins à produire de l’information en santé, car il considère que les médecins sont la source la plus fiable aux yeux du public et qu’ils bénéficient d’une confiance inégalée aux yeux des citoyens et des patients. Cependant, l’Ordre insiste sur la nécessité, pour le médecin sur internet, de faire preuve de prudence et d’éviter toute production d’informations racoleuses ou promotionnelles. Le document précise également que le site internet ne doit pas être hébergé par des sociétés risquant d’induire des « suspicions sur l’indépendance du médecin, voire à la compromettre« , ce qui nous permet de douter de la viabilité des sites internet de médecins proposés gratuitement par certains laboratoires pharmaceutiques.
L’Ordre précise en outre que le médecin sur internet n’est pas autorisé de faire appel à des techniques de liens promotionnels ou payants. De même le référencement payant et les liens renvoyant vers des sites à caractère commercial et/ou publicitaire (en pratique, cela s’avère pourtant assez courant !) sont interdits. Toute relation avec des entreprises industrielles de santé doit être déclarée et facilement accessible par le public.
- Faire un usage responsable des médias sociaux numériques
- Sur les réseaux sociaux grand public : l’Ordre insiste sur la nécessité de paramétrer correctement les options de confidentialité des comptes de réseaux sociaux (afin de ne pas divulguer à des patients des informations d’ordre strictement personnel) et de refuser les liens d’amitié (tels que les « amis » Facebook) avec des patients. Il est également possible d’utiliser des pseudonymes, mais dans un cadre bien défini et faisant l’objet d’une déclaration à l’Ordre.
- Sur les réseaux professionnels : les médecins peuvent y participer après avoir fourni la preuve de leur statut de professionnel de santé. Ils doivent cependant vérifier que la confidentialité des échanges est correctement assurée, que les sources de financement de ces réseaux respectent le cadre réglementaire des relations avec les industriels du secteur et que les discussions de cas cliniques respectent la confidentialité des patients.
- Définir le cadre d’exercice du téléconseil
Il est rappelé que le téléconseil médical est admis, qu’il engage la responsabilité du médecin qui le réalise, mais qu’il nécessite une réglementation qui n’est pas encore véritablement mise en oeuvre. Un contrat doit être obligatoirement signé avec la plateforme qui propose ce type de service aux patients (et être transmis à l’Ordre) et une assurance en responsabilité civile couvrant l’activité de téléconseil doit être souscrite par le médecin.
- Reconnaître l’acte de conseil par téléphone ou par courriel pour un patient habituellement suivi
L’ordre a demandé que les pouvoirs publics reconnaissent en tant qu’actes médicaux à part entière les actes de conseil à distance (par téléphone ou par e-mail) prodigués de plus en plus souvent aux patients, en particulier en cas de pathologies chroniques.
Depuis 2018 pour la téléconsultation et 2019 pour la téléexpertise, ces activités sont reconnues et prises en charge par l’Assurance Maladie, moyennant certaines conditions. Pour plus de détails veuillez consulter le site ameli.fr avec la page consacrée à la téléconsultation et celle consacrée à la téléexpertise.
En pratique, que peut faire le médecin sur internet ?

Le médecin qui désire être présent sur le web peut le faire sans aucun risque de se voir accuser par des confrères de démarche de type publicitaire. Il suffit pour cela de respecter les règles simples que l’Ordre des médecins a établies. Ces règles ne nous paraissent pas particulièrement contraignantes, mais il est de plus en plus fréquent de constater qu’elles ne sont pas toujours respectées.
La publicité autorisée ?
Il y a quelques années, dans un commentaire d’un éditorial du site Urofrance sur la e-réputation, le Pr Jacques Lucas, alors vice-président du Conseil de de l’Ordre des Médecins de France déclarait :
Depuis le décret du 22 décembre 2020, le médecin a la possibilité de communiquer plus librement qu’auparavant. En effet, avant ce décret, toute publicité était interdite aux médecins. Et toute communication non strictement scientifique pouvait être interprétée comme publicitaire. Ceci a alimenté de nombreuses procédures ordinales entre praticiens dans des contextes souvent très concurrentiels.
Depuis ce décret de décembre 2020, qui apporte un importante modification du code de déontologie médicale, la communication est libre. Cependant, elle reste encadrée par les disposition dudit code. Ce qui, contrairement à ce que certains ont pu croire, n’autorise pas la publicité de type commercial. En effet, le médecin ne doit pas pratiquer la médecine comme un commerce (article R4127-19). Cet article précise également que la communication du médecin doit être « loyale et honnête », ne doit pas faire pas appel à des témoignages de tiers et ne doit pas reposer sur des comparaisons avec d’autres médecins ou établissements.
En complément des éléments indiqués ci-dessus, nous recommandons la lecture du bulletin de mars-avril 2021 de l’Ordre National des médecin, dans lequel les dispositions du décret de décembre 2020 sont détaillées et commentées (pages 18 à 21 et 26-27).
A titre d’information, les documents ci-dessous (plus anciens) sont également intéressants :
- Le médecin dans la société de l’information et de la communication, publié en septembre 2016;
- La charte de conformité déontologique pour les sites web des médecins, publiée en 2014.
En conclusion, de nombreux médecins ont envahi l’espace du web et des réseaux sociaux. Si vous ne l’avez pas encore fait, n’hésitez pas. Il existe un fantastique champ de possibilités et au fil des articles à venir, je vais essayer de vous aider à y trouver votre chemin.
N’hésitez pas à nous faire part de votre expérience. Et si vous avez des questions, des interrogations, posez-les sans hésiter en utilisant les commentaires en peu plus bas dans cette page.
Image à la une via vchalup2 / depositphotos.com
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